2023
12.03

Et de trois ! Dix ans après ma dernière participation et quatre ans après une variante mémorable avec Papa, me voici une nouvelle fois au départ de la doyenne dans le sens Roanne – Thiers cette année. Ce n’était pas prévu. Et je n’en avais pas très envie. Mais les nombreuses relances de Nicolas (qui réussira lui aussi bravo à lui) et la possibilité de participer avec mon frère ont eu raison de mes excuses. Trop long, trop de route, trop froid… Oui mais une nuit comme ça, aussi magique, avec cette foultitude de marcheurs libres déambulant au clair de Lune. Cela ne se refuse pas. C’est un défi. Mais aussi une grande chance qu’il faut savoir saisir !

Il est 10heures et cette fois notre compte est bon. Moi. Cédric. Deux physiques pas très solide qui malgré leur bonne volonté ne tiennent décidément pas la distance. Cédric à mal à l’aine, au genou. Mais surtout à l’aine. Alors j’use de divers stratagème pour le maintenir en vie. Imaginant de nouvelles diversions à chaque passage de la navette. Le motivant. L’incitant à y croire, à continuer malgré ses grimaces. Parfaitement inquiet de le voir abandonner, un soulagement furtif je le sais mais aussi de longs regrets… 11heures, plus que 6 ou 7 kilomètres et c’est mon tour. D’abord une inflammation à l’intérieur de la cheville, dérangeante, mais pas bloquante. Puis le genou, une douleur aiguë à l’extérieur et que je connais trop bien… Pas le choix, j’ai trop poussé mon frère dans ces retranchements (sens propre et figuré) pour me laisser abattre. Il nous faut continuer, car de toute façon, nous irons au bout.

Midi et demi. Nous y sommes, Thiers et sa grande salle où s’entasse les corps meurtris de ceux qui ont vu un peu trop grand, les esprits toujours vifs de celles et ceux pour lesquels l’aventure était quand même un peu trop facile. Trop plat, trop court, trop chaud. Je ne comprendrai jamais comment font ceux qui s’adonnent à la discipline et finissent comme s’ils avaient pris le bus… C’est comme ça. Les limites des uns ne sont pas celles des autres et chacun doit s’éprouver pour apprendre à se connaître. Quand à nous deux, nous sommes allez au bout. Là où les lignes se fissurent et se dispersent. Là où ne voudrions plus jamais aller mais là aussi où l’on se plaît à se surprendre. Aujourd’hui, dans ce bus qui nous ramène à Roanne, je n’ai pu m’empêcher de penser que malgré les galères et les blessures, mon frère s’est quand même forgé un super mental. Plus rapide plus costaud. Peut-être juste moins régulièrement entraîné à y croire que moi…

Thiers, après 57kilomètres et une nuit blanche, les traits sont tirés mais le bonheur d’en terminer jamais aussi fort ! Chapeau au frangin, qui termine sa première nocturne et possiblement pas la dernière !!!

Roanne – Thiers 2023, 2400 marcheurs, Nicolas, 2 frères, 57 kilomètres, 1600mètres de dénivelé et moins 10degrés le matin. Pas simple mais un genre d’épreuve magnifique quand on y pense. Dans cette grande salle où s’entassait jusque dans les gradins les marcheurs les plus fous. Des hommes, des femmes, des familles de tout bord. De la couleur et un but gratuit. Celui de se faire plaisir, sans compétition ni récompenses. Juste une nuit à s’offrir, perdus quelques part entre les cimes enneigées des montagnes du soir et la voûte étoilée. Marcher ! Animés par une histoire d’apéro à honorer. Je me souviens de chaque départ. 2011, au pas de course, 2013 calqué sur la foulée d’un Philippe concentré. 2019, blessé au départ et bataillant pour suivre le rythme effréné d’un père tout bonnement déchaîné. 2023, de grands compas maladroits dans la foule des petits pas. Mon frère a besoin d’espace pour s’exprimer. Manquant d’air dans la foule compacte qui crisse et qui scintille. Des bâtons dans les pattes. Des pleins phares en action. Émerveillant la campagne, énervant des chiens qui décidément ne comprennent rien. Premier ravito. Deux frères gobelets « vaches qui rit » et « boite à meuh » se rendent volontaires au numéro neuf.

Sous les tonnelles détonnent l’odeur épicée du vin chaud. Sous les tonnelles réchauffent la vapeur brûlante s’échappant de nos tasses. Sous les tonnelles, le bruit des autres et ce sentiment d’assister à une scène étrange. A l’heure où les gens censés dorment dans le bon sens. Et où les insensés rêvent debout les pieds glacés. Derrière nous déjà les tonnelles disparaissent, nous abandonnant fragile aux affres de la nuit. Plus de bitume sous nos pieds mais cette sensation de mordre un sol gelé truffé de pierres. Les ombres dansantes, des arbres en farandole. Se jouant de notre ombre, inconstante et vivante sous la lumière des torches. Qui lorsqu’elles se lèvent s’allongent à n’en plus finir. Pour revenir,  soudain, se réfugier sous nos pieds. Nous venions d’atteindre le chemin de crête. Où la brise souffle à en frémir. Mes joues, mon nez, mes oreilles disparaissaient et je comprenais maintenant pourquoi dans ses représentations le visage de la lune était si doux. La nuit ne se révèle pas. Elle nous confond. Être humains sommes toute si semblables dans la fraîche pénombre. Sur le ruban brillant et glissant, tous, nous avancions. Sans que personne n’ai l’idée déroutante de faire demi-tour.

L’antre de Saint-Just-en-Chevalet. Sa grande salle et ses bénévoles hélas trop souvent éblouis. Mon frère surtout avait vu juste. Déclenchant l’ire de la fois de trop. « Vous direz à votre copains de bien vouloir éteindre ses spots… » – « Mais comprenez, pour une première, et les doigts figés… » –  » Café, thé, chocolat ?  » –  » Ce sera un thé s’il vous plaît, et les choses sont si vite oubliées !!! « 

Déjà 25 kilomètres, et nous allons entamer ce qui constitue l’essence du Saint-Thomas, ce dont on se rappelle. Saint Thomas, le patron de ceux qui persévèrent sous l’emprise du doute… Le col marquait notre retour sur la grande route. Traitée. Salée pour notre plus grand plaisir. De petits groupes s’étaient formés. Reliés les uns aux autres par les traits photoniques de nos lampes à LED.  Diodes électroluminescentes. En voici un nom bien charmant pour ce que nous nommions encore il y a peu, ampoules. Marcher ! D’îlots de lumière en faisceaux argentés. Sans que nous nous en rendions compte, le calme s’était installé. Seul subsistait les pas et le son de la nuit qui n’est pas le silence mais bien autre chose. Insaisissable et enveloppant. Une bulle savoureuse et un privilège dont la vie moderne nous a privé. Celui des pionniers. Celui des ancêtres et des Cro-Magnons qui, à la faveur d’un feu crépitant regardaient vers le ciel. Reconnaissant entre deux étoiles les fils délicats dont les constellations sont tissées… Marcher la nuit, c’est un peu ça. S’offrir une digression interdite dans un monde qui pourtant est notre. Se détacher du réel et réapprendre à rêver… A ce qui nous échappe. A ce qui nous dépasse.

Au cœur d’une nuit enneigée, l’arrivée au col de Saint Thomas est grandiose !!!

Perdu sans repères j’avais un instant délaissé mon frère qui marchait quelque part, seul mais entouré. Je l’attendais. Forçant mes yeux fatigués pour reconnaître le gilet honorable que je lui avait prêté. Gilet floqué d’un plastron rouge et de bandes verticales et lumineuses. Le gilet du Paris-Brest est reconnaissable. Mon frère aussi. Il arrivait à son tour, de ses grandes enjambées pourtant moins souples qu’à l’accoutumée. « Ça va ?  » –  » Ça va, et toi ?  »  » Bien, mais ça commence à tirer !  » Le Saint-Thomas, son brasero rougeoyant et des sapins ployant sous le poids de la neige. Une nuit magique. Ses marcheurs aux traits tirés qui tour à tour se pressent devant le panneau. Cette photo est un passage obligé. Une attestation prouvant que vous l’avez fait. Je garde précieusement l’image de mon père au sommet. Comme je garderai précieusement celle de mon frère sous une nuit boréale. L’instant, fut-il fugace, restera gravé.

Et cela vraiment, valait le coup… !

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