2021
08.10


Résumé

Rouler m’accomode
Grimper m’est commode
Sprinter m’incommode

La comptine du coureur (magazine 200) :
Il y a la mécanique du pédalier et puis il y a l’autre, l’infernale, à trois temps, qui tourne sans fin dans votre tête lorsque vous roulez seul. Il y a la ritournelle de la chaîne, et il y a les ressassements du grimpeur. Comme une chanson, une valse, une musique intérieure….

… 5h45, Bourg-d’Oisans dort…

(d’après Chistophe Rulh/Matthieu Lifschitz, magazine 200, n°29)

Col de la Croix de la Croix de Fer, sur les rives du Lac de Grand-Maison….

Certes l’haïku à écrire aujourd’hui est un brin longuet, 177 000mètres de ruban goudronné pour décorer 5 kilomètres de dénivelé, mais c’est bien un triplet puisqu’il passe trois points hauts : Croix-de-Fer, Galibier et Alpe d’Huez. A ce tiercé ma cote est de un contre un seul : moi. Comme souvent, une petite voix intérieure m’accompagnera, cette seconde voix chantonnera à la tierce comme nous roulerons, c’est elle qui me soufflera à l’oreille trois lignes une à une.

L’élan énonce
La direction parle
Le sens dit

🏞️…Col de la Croix de Fer…

Ne me demandez pas d’être philosophe dans la descente vers la Maurienne. Si en montée je me permets humour, pensées, mise à distance de ma propre image de cycliste, amateur et ahanant, sachez que l’inversion de pente m’inverse aussi : je me mue en coureur pro. Plus de ballade, une trajectoire. Plus de nez au vent, des fils de rasoirs. Plus de réflexions sur la vie mais une lutte à mort. Plonger sur Saint-Jean sans plonger dans l’Arvan est un exercice de style. Dans les lunettes défilent ardoisières et à-pics où chamois fiers et aspics se tiennent à carreau…

Un abribus mauriennais accepte l’étendage de ma fatigue et l’abandon de mon vide intérieur. Surrénales à plat et glycémie dans les arpions j’éprouve le vertige en creux : les grandes pentes dangereuses parce qu’attirantes sont derrière moi mais siphonnent en mon sein une dépression telle un oeil de cyclone qui, partant de mes entrailles, aspire à elle énergie des cuisses et détente de mon visage. Rien ne m’inspire plus, j’expire. Je me noie sans me débattre, mon front est lisse et mes paupières lourdes. Une barre de céréales et puis deux, le fond de mon bidon, un micro-sommeil…. Tiens, je commence à revivre. Une renaissance au goût de l’Antésite que j’ai l’habitude d’ajouter à mon eau pour en contrer l’odeur de plastique. Tiens, mes sens se ravivent, je revis effectivement. D’ailleurs mon abribus sens fort la pisse, le fait est indiscutable et me fait sortir de ma bulle. Il me remet en selle. Me relance. Gauche, droite, gauche… Accouché du néant par la rotation démultipliée de mes jambes roulantes, revoici l’automatisation du pédalage…

La selle me pose
Le guidon m’accompagne
La chaîne m’emmène

🏞️…Col du Mollard…

 » Tout ce qui arrive à la Terre arrive aux fils de la Terre… « 

La carte inspire. La route aspire. Le tracé respire.

Pédaler est jouer
Mouliner est joyeux
Appuyer est soyeux

🏞️…Col du Galibier…

Le Lautaret est une poupée russe à l’ombre du grand Galibier, je le traverse sans un regard car qui s’intéresse à la matriochka du milieu, hein, franchement, qui ? Je prendrai juste le temps de ne pas compter les camping-cars, motos à trois roues et Harley bedonnantes mais pétaradantes. Je prendrai par contre celui de regarder très précisément les conditons de la glace dans les faces nord silencieuses du pic Gaspard, de la Meije et du Râteau…

La petite voix récite comme une comptine Croix-de-Fer, Galibier, Alpe d’Huez. Certes. Evidemment. Bien sûr. Mais alors que défilent les cascades de l’Oisans, les tunnels projecteurs, les restes d’avalanches, au-dessus bientôt du Lac Chambon, voilà ma voix seconde qui toussote, se racle la gorge, se lance pour prendre la parole, puis se ravise.

Je connais cet état : ma voix a une idée et  je dois pour l’écouter faire retomber mon rythme cardiaque, penser la carte comme un territoire, m’y inscrire au mieux. Le remblai caillouteux face à la cascade de la Pisse me voit posé, aluni en quelque sorte, prêt à la réflexion. J’ôte mon casque, c’est dire.

Faire une Marmotte classique, ce serait rejoindre maintenant Bourg-d’Oisans et enquiller les vingt et un lacets jusqu’à l’Alpe. Mais avec mon taux de lactates circulants et ma vision approximative des mathématiques, c’est imparable : plus on monte haut, plus longue sera la descente. Et moi, les descentes, je commence à y prendre goût… Un goût de prolonger la solitude, surtout… Un goût présomptueux, aussi. Les descentes ont le goût du sang qui a battu dans la gorge quand les montées ont l’odeur âcre de la sueur collée à leurs linges. Aussi ma décision est prise : je ne monterai pas l’Alpe d’Huez, je la descendrai ! Grimper maintenant et avant que le soir ne tombe, le col de Sarenne me permettra cette élégance. Ce sera mon petit plaisir, c’est du moins ce que je crois à ce stade…

De Sarenne, je me souviens de la fraîcheur de la forêt, le goudron humide et de son petrichor, l’humus des fossés qui déborde en mottes de mousse sur la chaussée. Je revois ce gros bloc rocheux et l’abri bâti en dessous, puis les alpages élevés d’où sourdent des eaux abondantes. Je revis une pause que je fis, un torrent arrivait comme fou à droite dans la pente, envahissait à grand bruit une canalisation trop étroite pour son printemps tumultueux, ressurgissait en trombe et force aérosol à la gauche coté vide. J’étais traversé par cette puissance au moment où mes propres watts se comptaient par petits paquets de dix seulement. J’avais voulu être seul, haut et tard, c’est dans cet état précis que je surmonterai la fin de ma journée de labeur-voyageur. Sur ce versant ombragé les cyclistes se sont mesurés durant la matinée et, pour les plus comtemplatifs, jusqu’en milieu d’après-midi. Mais à l’heure des comptes et des comptes rendus me voici tout à fait isolé et insulaire. Je comtemple les lacets sous mon dernier virage, ils sont vides de véhicules motorisés et de passants artificiels, rendus jusqu’à demain aux résidents naturels des lieux et à la vie sauvage. Vie domestique ou insoumise, faudra-t-il un jour choisir ? Dans nos montagnes, entre chien et loup, il faudrait donc trancher ? Moi, ce soir, entre chien et loup, sur cet ubac vivifiant, je construit une ascension qui me donne l’illusion d’un temps suspendu parce que non compté et non dompté…

La dernière ligne droite, une traversée à flanc, me propulse étonamment dans un ici-maintenant d’une profondeur calme et apaisée, en même temps que dans un mélange de souvenirs et de projets. En effet, la facette ouest de la Meije prend le chaud rosé des rayons finissants, elle est comme un appel pour mon âme. « souviens-toi des voies gravies ici, de ton désir de revenir, de ton besoin d’en avoir envie » me semble-t-elle chuchoter dans mon oreille. Ainsi donc, même coupé des hommes, je resterais accompagné par les monts et les vaux ? Me croyant autonome des choses de la société, je resterais à jamais dépendant de celles de la nature ? Ma liberté actuelle serait-elle donnée mar mes chaînes passées … ?

Accélérer me coûte
Freiner me pèse
Arrêter me libère

🏞️…Col de Sarenne…

Dernière poupée matriochka, l’Alpe d’Huez, traversée les mains au bas du guidon. S’ensuit un morceau d’anthologie de montagnes russes version grand huit, les vingt et un lacets relevés ont des allures de Luna Park désert… Chaque courbe enroulée me ramène sur la terre des hommes. Avec un grand mouvement de balancier intérieur à chaque relance : rentrer ou pas ? Vivre en société ou en tribu ? Et la petite voix de continuer au dedans… Les questions tournent autant que la route et plus que les pédales…

Le cycle se répète
Le tour s’enroule
Le cercle se clôt

🏞️…Fin…

Pour retrouver ce formidable magazine, c’est ici… 😉 !

Souvenir du 04 août 2017


Fiche

 

Descriptif :

GPX : #AlterNativeMarmotte
Pays : France
Région : Rhône-Alpes
Dépt : Isère
Départ : Bourg-d’Oisans (38520)
Difficulté : Haute
Distance : 200km / D+ :  5739m
Durée : 11 heures 18
Sport : Cyclisme Route

 

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