Avec Guillaume, au sommet du Mezenc, point d’orgue de ce parcours qui interroge…
Pour tout comprendre : Est appelé Triangle de la Burle, une zone comprise entre le Puy-en-Velay, le Mont Mézenc et le massif du Pilat. Région déjà décrite comme « Locus Horribilis » pendant l’Antiquité. Nombreux contes et légendes à son propos. 75 crashs d’avion depuis 1945, record national. Certains complètement inexpliqués. Parmi les plus emblématiques : le 13 mai 1948, crash de l’avion privé de Kathleen Kennedy Cavendish, sœur de John Fitzgerald Kennedy ; le 21 janvier 1971, crash de l’avion militaire transportant tous les cerveaux de la recherche atomique française ; 6 septembre 1980, « ghost crash » d’un appareil koweïtien. On ne retrouvera jamais les corps ni les débris de l’appareil… Fréquentes observations d’OVNI depuis l’an 1420. Matérialisation de boules roses et bleues.
Bref, une région pas piqué des hannetons, et qui attire le cycliste barré comme les avions… Heureusement, pour le cycliste, ça fini mieux…en général
Il est 8heures lorsque je retrouve Guillaume, l’organisateur de cette petite vacherie sur le parking de Cluny, au Puy-en-Velay. Certains d’entre vous le connaissent peut-être, Guillaume. Il tenait l’Atelier du Vélo à Saint Etienne au temps du Tour des Brasseries de la Loire. Aujourd’hui, il tient un magasin à Valcivières, https://www.larouedynamo.com. Spécialisé dans le montage de roues, il maîtrise comme pas deux le montage des moyeux dynamo. Avec tous les Paris-Brest qui traînent par ici, c’est une information que je me devais de communiquer…
Donc Guillaume, il aime le VTT (engagé), l’Aventure (minimaliste) et accessoirement boire une bière ou deux quand les kilomètres s’accumulent trop. On devrait bien s’entendre ;-). On retrouve également Benoit, qui est venu faire nos brevets en début de saison, et qui lui aussi se souvient très bien du déluge que nous avons eu sur le 300. Benoit boxe dans une autre catégorie. Adepte des BikingMan (Portugal, Corse…), il fera le parcours (270km) sur 2 jours, avec seulement un petit sac-à-dos… Quant au grand machin pas très à l’aise sur un VTT, c’est toujours moi… Se joindrons à nous Florian et Elie, l’un revient d’un voyage au Palmir, l’autre est originaire du Triangle. Autrement dit, c’est pire.
C’est parti…
Saint Julien-Chapteuil… Premier arrêt de la troupe, en terrasse d’un PMU… Installé sur une petite table au fond de la terrasse, un mec ni jeune ni vieux nous fait des grands sourires. Il ressemble à une hybridation entre un écureuil et Laurent Romejko, et lit Le yoga au bout des doigts de Gertrud Hirschi. Détail important : il est le seul à ne pas boire de boisson alcoolisée. Nous nous dirigeons vers lui.
- Bonjour. Peut-on s’assoir à ta table ?
- Oui, amis. Vous êtes les bienvenus. Je m’appelle X***.
- X****, es-tu un extraterrestre ?
- Non, j’ai longtemps été dépressif. Maintenant, je suis médium, apprenti-druide et mage blanc. Vous n’êtes pas du coin, qu’est-ce vous amène ici ?
- Nous allons demain sillonner le Triangle de la Burle.
- Oh la la. Oui, je connais très bien. Il y a des phénomènes très forts là-bas. Des tourbillons d’énergie. Des vortex. Ils ont des couleurs et des fréquences différentes. C’est en revenant du pèlerinage de Compostelle que j’ai commencé à les voir.
- Comment tu expliques cela ?
- C’est de la géo-biologie. La Terre est un organisme vivant, la Burle est tout simplement l’un de ses centres d’énergie, l’un de ses chakras.
- Et les OVNI ?
- Le Triangle de la Burle se situe sur d’autres plans vibratoires. Pour moi, les OVNI ne sont que les apparitions d’entités venues d’autres dimensions.
- Quels sont les endroits où tu nous conseilles d’aller ?
- Les Dents du Diable, c’est très costaud niveau énergétique. La pierre magnétique de Chazornes, aussi. Et puis Mézilhac, là où les atomistes se sont crashés.
- OK. Il y a beaucoup de mages blancs comme toi dans la région ?
- Non, je suis le seul à ma connaissance. Sinon, il y a un mage noir qui tient ici une herboristerie. N’allez pas le voir…
Fort de ces renseignements, nous nous enfonçons à travers les Sucs, encore un peu plus inquiets. Heureusement, le pays est superbe, les chemins, bien que caillouteux, encore roulant. Dans le joli village de Saint Jeure, nous nous arrêtons. Sandwich, quiches, nous nous sommes installés sur une petite table couverte en face de l’église. Durant la durée de notre arrêt, 3 randonneurs ce qui ne trompent pas. Nous sommes bien sur les chemins de Saint Jacques…
La roche druidique de Crouzilhac est une pierre à cupules située sur la commune de Tence…Une légende raconte qu’un homme aurait été puni pour avoir déplacé une borne de la forêt de Crouzilhac, se retrouvant dès lors condamné à errer sans jamais pouvoir poser cette lourde pierre. Le seigneur du château de Mazel l’aurait délivré en l’autorisant à déposer celle-ci auprès du ruisseau des Mazeaux. Son fantôme hanterait encore les lieux…
Nous reprenons, la route, en direction de Saint Genest Malifaux que nous avons choisi comme point de chute. Le Triangle de la Burle a cela de particulier d’être loin des villages et agglomérations. Il faut bien se ravitailler, et ne pas rater son coup… Montfaucon, la via Fluvia qui nous conduit sans efforts vers Dunières. Un morceau récup’ volontairement placé en vue d’un final un peu plus dur, que Nicolas aurait pu tracer. Nous voyons Chaussitre et sa croix à nouveau debout. Nous y sommes, Saint Genest-Malifaux, et son camping.
Il est 18heures trente et nous avons le temps. Quelques courses au Proxi, café des Sports où le patron nous accueil en ami, pizzeria où notre allure vagabonde et notre politesse finissent par convaincre la patronne de nous laisser diner sur place… Le ventre plein, nous rejoignons le camping ou nous dormirons Roots comme on dit. A même le sol, armé d’un simple duvet et d’un sursac. Voyant notre matériel un brin sommaire, nos gentils voisins, des gens d’un certain age, viennent nous proposer de nous mettre à l’abri sous l’avancé de leur chalets… Poliment nous refusons. La rudesse de la nuit fait partie de l’Aventure… (putain que j’ai regretté, toute la nuit, dans mon duvet à 15° alors qu’on a pas eu plus de 5 avec la pleine lune et la rosée…!!! La prochaine fois, je mets l’ego au chaud, c’est sûr)…
Camping de Saint Genest-Malifaux. Entre les chalets, deux vagabonds…
6h30, l’aube est là et avec elle le froid de l’air qui s’ajoute à celui du sol. N’ayant presque pas dormi, je me sens comme un bâtonnet glacé que l’on peine à sortir du papier… Yeahhh !!!!
7h. Ce qui est vachement bien quand on dort sans tente c’est qu’elle est super vite pliée… Je boule en vitesse l’amertume dans son sac et saute dans la roue de Guillaume, qui, en gars expérimenté, est déjà près. Nous filons au café des sports, qui en plus des bières, fait aussi boulangerie. A la télé, le journal. En gros titre, le décès de la Reine. Je prendrai tout de même deux croissants…
La partie d’ici sera la plus difficile, et je ne dis pas ça parce que je suis chauvin. De Saint Genest à Planfoy, puis de Planfoy au Bessat. Nous abordons le Pilat comme si c’était un vieil ami un peu grincheux. Ca monte, ça monte, ça roule des caillasses et ça secoue bien plus que le bas des reins… Mais on s’accroche, jusqu’à la cime de la Perdrix. C’est génial. C’est beau. Le ciel est bas, gris, autrement dit, redoutable. Les pierres, sèches, grises et brutales… On est plus en France, on est quelque part ailleurs au bout du monde…
Le Crêt de la Perdrix. Lors d’une évacuation sanitaire entre Luxeuil et Istres le 1er novembre 1944, les cinq membres d’équipage d’un Douglas C-47 Skytrain américain et 15 soldats blessés Alliés et Allemands trouvèrent la mort lors d’un crash entre le crêt de la Perdrix et le crêt de la Botte. Deux stèles rappellent cet accident : l’une proche de La Jasserie et l’autre sur un sentier entre cette même Jasserie et le col de la Botte.
Dans une clairière un peu avant l’Auberge du Grand Bois où Vélocio avait ses habitudes, nous nous arrêtons. Sur de grands troncs empilés au sol, nous mangeons. En Aspi, et une Pizza. Cela même que nous avons acheté au boulanger du Bessat. En échange des petits sous comme il nous a dit. Les petits sous, à notre époque, ça se compte… et se décompte…
Pause déjeuner, au Soleil, à l’approche du col des grands bois…
De l’auberge, nous rejoindrons Saint Agrève, par Saint Bonnet-le-Froid et le lac magnifique de Devesset. Les cailloux se sont espacés, les forêts sont belles, s’en est presque trop facile… Saint Agrève, 19h30 et plus de 100kilomètres au compteur. Une sortie qui compte. L’Auberge des Cévennes, sa bannière rouge, sa fontaine et ses chaises larges comme deux fesses. On est bien assis avec la petite mousse réglementaire. Ce sera bientôt le début du service. Et l’on se plait à refaire le monde…
Au menu ce soir, un burger à la fourme du Mezenc. Guillaume, à deux doigts de s’etouffer avec le pic qui tient les deux pains de son burger. La Fourme, il n’y en a qu’une de vraie, et c’est celle de Valcivières… (je rappel ici sa règle énoncé à l’occasion du #CFC, considérer Valcivières et toute production y émanant comme étant le Katmandou forézien). Ce qui n’empêche pas que c’était vachement bien.
22h30. Cette nuit nous ferons l’impasse sur le camping et dormirons au sens du bivouac vrai. Un parc, de l’herbe, deux sacs au sol avec des mecs dedans. Cette nuit-là, je découvrais le secret des chats. Un œil fermé, un œil ouvert et l’oreille sensibles au moindre bruit. Guillaume, lui dors, profondément.
6h30, pas de réveil, mais un coq dont nous avons oublié de relever le prénom. Une heure au moins qu’il gueule, et voici qu’il me prend des envies de meurtres. Une fois tout plié et rigoureusement attaché, nous filons à la boulangerie qui fait aussi salon de thé. 2 café, un flan, 2 croissants. Sur la façade en face, la lumière chaude d’un soleil encore bas dans le ciel… C’est aujourd’hui que nous saurons si la Table d’Or existe ou bien si c’est une affabulation…
Saint Agrève, derrière les vitres du salon de thé, nous attendons l’arrivée des premiers rayons…
Un long secteur routier comme mise en jambe, 7° au compteur mais des paysages à couper le souffle. Bien vert et c’est tout bonnement étonnant… Fay-sur-Lignon, l’arrivée depuis les tréfonds…
La route toute en lacets nous mène au village de Chaudeyrolles, situé au pied du Mont Mézenc, qui culmine à plus de 1 750 mètres. Nous y croisons Roméas, notre premier être humain. Roméas a 65 ans et habite dans le bled depuis toujours. Lorsque nous le demandons où se trouvent les Dents du Diable, celui-ci croit dur comme fer que nous sommes des journalistes envoyés par TF1 pour l’émission Mystères. Puis, il nous répond avec un bon sens paysan : « Vous savez, ces histoires d’OVNI, tout ça, c’est dans la tête des gens. Bon, il y a trois Dents du Diable, et la plus accessible est la dent pointue. Pour s’y rendre en voiture, prenez sur votre gauche pendant trois kilomètres. » Selon l’historiographie locale, une main géante faite d’or et d’orichalque – un métal atlante – aurait été enterrée dans les environs par des druides en -450 avant Jésus-Christ. Ce trésor serait une sorte de condensateur à énergie négative et expliquerait pour beaucoup la malédiction des lieux.
Au sommet de la Croix de Peccata, nous prenons à gauche, par le petit chemin qui mène au (deux) sommets du Mezenc. Nous en terminerons l’ascension à pied, après avoir pris soin de cacher les vélos entre de petits sapins. L’un des participants de la première édition vient de décédé, sur une épreuve de bikepacking. Guillaume a emmené avec lui une petite bougie qu’il allumera au sommet Ardéchois…
La Croix au sommet du Mont Mezenc…. Jeudi 31 décembre 1964, deux avions de chasse de l’armée de l’Air française se percutent en plein vol au-dessus du massif de Mézenc, dans les Cévennes….
Prenant notre temps, nous avons mangé les sandwichs et le brownie acheté la veille chez Marcon. Sous nos pieds, les Estables, et l’immensité des paysages… C’est absolument sublime !
Le panorama depuis les Estables !
Au Estables, reste une soixantaine de kilomètres que je savoure comme si ça devait être les derniers. Nous L’Aventure proposée était unique et magnifique. L’incertitude liée à la distance, aux nuits en bivouacs envolées, la malédiction du lieu déjouée. De quoi ouvrir de nouveaux champs des possibles… Nous retrouverons Benoit et sa petite famille au Puy-en-Velay où il nous invite à prendre un verre. 3jours de vélo, 270km, 6000m de D+ pour cette version allégée du Triangle. L’original comptant 300km pour 9000m de D+. Un jour, quand nous serons plus grands…
Rocher et Chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe…. Il y au moins deux millions d’années, le bassin du Puy était un immense lac. Les éruptions volcaniques sous-lacustres ont façonné ce paysage. La lave a rencontré de grandes quantités d’eau en arrivant à la surface. De nombreuses explosions, peu violentes, ont fragmenté la lave pulvérisée qui est retombée aussitôt dans l’eau. Les débris se sont agglomérés en couches multiples et se sont soudés puis transformés en un matériau brun clair. Ainsi est né le tuf volcanique. Des panneaux entiers de roche retombaient à chaque explosion dans la cheminée. Le Rocher est ainsi constitué de grandes dalles proches de la verticale qui témoignent du fragile entassement dans la cheminée profonde.
Nous choisissons de finir cette enquête en allant voir le mage noir dans sa boutique d’herboristerie estampillée « Guilde des Rebouteux 2017 ». Manque de bol, il n’est pas là. Nous tombons sur sa secrétaire particulière qui nous dit :
- Oui, il est parti en consultation à La Grande-Motte. Vous vouliez le voir pourquoi?
- Nous revenons du Triangle de la Burle. Nous voudrions savoir ce qu’il en pensait.
- Oh ! Le Triangle de la Burle ? Il y a tellement de théories farfelues à son sujet. Je suis très ouverte à l’invisible, mais sur ce coup, je crois que tous ces crashs sont dus à des conditions météorologiques difficiles : la Burle, qui a donné le nom à la région, est un vent très violent. Avec en plus des températures basses, et des sommets cachés par les nuages, toutes les conditions sont réunies pour qu’il y ait des accidents. Vous désirez autre chose ?
- Non, ce sera tout Madame.
Déshabituée à un tel shoot de rationalité, ma cervelle fusionne et notre retour est une longue hallucination où se croisent les Petit-Gris, le mage blanc, la dent du Diable, Monsieur X et Laurent Wauquiez. Arrivé en bas de chez moi, j’ouvre ma boîte aux lettres. Pendant trois jours, elle s’est gavée de publicités, de factures et d’une mise en demeure. Jetant cette paperasse à la poubelle, je me dis qu’il est finalement bien dommage que le Triangle de la Burle ne m’ait pas téléporté dans une autre dimension. Une dimension loin, vraiment très loin de ce plan vibratoire que l’on nomme réalité…
* En italique, extrait de tirer de la véritable enquête… https://www.brain-magazine.fr/article/brainorama/47705-Dans-les-mysteres-du-Triangle-de-la-Burle